Episode 1 : " La paysanne de Millery "

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Episode 1

L’histoire commence en 1745 par une énigme : le 26 décembre de cette année-là naît une fille prénommée Eléonore. Son père est François-Claude Bouvier, sa mère Pierrette (ou Pernette, c’est selon) Peysaret. Ils se sont mariés le 26 novembre 1743 à Millery*. Lui est originaire de Saint-Andéol-le-Châtel et elle est la fille de Pierre Peysaret (décédé à la date du mariage) et de Marguerite Del(h)orme, née le 27 février 1713 et morte le 08 septembre 1782 « à l’âge d’environ 70 ans » à Millery.

François-Claude Bouvier, maître tailleur de pierres (né le 26 mai 1721 et décédé en septembre 1775), est le fils de Jacques et de Marie Quinet de Saint-Andéol qui sont les parrain et marraine du 1er enfant du couple, un garçon, Jacques, né un an avant Eléonore (04 septembre 1744). Naissent ensuite Benoîte (le 06 février 1749), Antoinette (le 23 juin 1752), dernier enfant né à Millery. La mère a 39 ans et peut avoir eu d’autres enfants, ailleurs.

Notre énigme prend forme lorsqu’on aura dit qu’entre Benoîte et Antoinette est née, le 21 juillet 1750, une autre fille prénommée… Eléonore, la seconde de ce prénom, chose peu étonnante en ce temps-là où l’aînée pouvait être la marraine d’une cadette (ou de plusieurs) et lui donner son prénom. Mais ici nos deux Eléonore ont chacun une marraine différente portant le prénom d’Eléonore

Mais quelle est donc « notre » Eléonore ? La première, la seconde ? Une troisième née ailleurs et donc plus jeune ? Perplexité…

La famille part habiter Lyon, paroisse Saint-Georges, peu de temps après la dernière naissance, celle d’Antoinette. Le père, François Bouvier, de maître tailleur de pierre devient verrier en travaillant (ou s’associant, les indications des documents ne sont pas claires à ce sujet mais ont leur importance, on le verra par la suite) « avec un maître verrier du quai de Serin, faubourg de Lyon » vers 1770.

Un des deux Eléonore connues se marie en 1769 (12 avril), paroisse Saint-Georges de Lyon : « Sieur André Châtel, compagnon tailleur d’habits d’homme, fils de feu Thomas Châtel, laboureur de la paroisse de Saint-Pierre d’Entremont en Dauphiné et de vivante Isabeau Convert, d’une part, et demoiselle Eléonore Bouvier, fille de Sieur Claude-François Bouvier, maître tailleur de pierre et de Pierrette Peyzaret, d’autre part, demeurant sur la paroisse de Saint-Georges ». Les « témoins sont Marc Dreveu, maître cordonnier, M. Vincent, barbier, Gaspard et Jacques Audibert ». Tous signent, y compris la mariée. L’acte ne mentionne pas l’âge de cette Eléonore.

La seconde Eléonore, quant à elle, se marie également mais en 1784, le 05 janvier, date du contrat de mariage passé chez Maître Pierre Margantin, rue Saint-Honoré à Paris à « un écuyer au service de la Reine de 45 ans cy devant demeurant à Marseille et actuellement à Paris rue Saint-Honoré, hôtel de Bayonne, paroisse de Saint-Germain l’Auxerrois, fils de feu François Estienne Pigenat de la Palun, officier des Gardes suisses de Monseigneur le Duc de Berry et de feue Anne Moustier », non mariés, le père ne l’ayant reconnu qu’en 1760.

Eléonore est dite « majeure » (plus de 25 ans) en 1784, « de feu Claude François Bouvier, bourgeois de Milleray en Lyonnais et de Pierrette Peysaret demeurant ordinairement à Milleray, et étant de présent à Paris, logée à l’hôtel de Bayonne, rue Saint-Honoré, paroisse de Saint-Germain l’Auxerrois ».
Les termes du contrat laissent rêveurs surtout lorsque les sommes apportées par les époux sont mentionnées : François de la Palun possède 24 000 livres et Eléonore Bouvier 100 000 ce qui est énorme compte tenu de l’origine sociale de la demoiselle et de l’époque. Quinze jours plus tard, le 21 janvier 1784, une charge de maréchal des logis de la Reine est acquise par François de la Palun pour 20 000 livres. Et la dizaine de témoins qui signent au bas du contrat ne laisse pas d’étonner : Louis Joseph de Bourbon Prince de Condé dont la signature est saupoudrée d’or, le Marquis de la Force, l’Abbé de Saint-Didier aumônier de la Comtesse d’Artois (belle-sœur du roi), un lieutenant général des armées royales, etc.

Pour la bonne société parisienne ou lyonnaise, elle devient «  la comtesse ou la baronne de la Palun  » mais on n’oublie pas pour autant ses origines. L’Abbé Duret, chroniqueur mondain lyonnais à la langue acérée, nous apprend ce que furent ses années lyonnaises avant d’aller fréquenter cet autre monde : « La Bouvier, paysanne de Millery, ancienne femme de chambre de Madame de Manissieu… » en 1780, ou encore « Madame de Pizay vient et amène la Bouvier, ancienne femme de chambre de Madame de Mannevieux**… », la même année.

Dans ses mémoires, un ancien officier aux Gardes françaises écrit en 1823 : « Une paysanne lyonnaise sans autre talent que celui de l’effronterie a occupé assez longtemps les personnages les plus distingués de la Cour… Claudine Bouvier, simple servante chez un particulier de Lyon avait toute la confiance de ses maîtres qui, ayant un procès à Paris, l’y mena et la chargea de suivre leurs affaires tandis qu’ils retourneraient dans leur patrie. Cette fille, à qui on avait laissé de l’argent, qui sans être jolie avait une figure agréable et était vêtue élégamment dans son costume villageois, eut envie d’aller à Versailles… »

* Elle a 30 ans, âge tardif pour un premier mariage mais calcul qui permet aux futurs couples de limiter le nombre des naissances. Le nombre de personnes par famille à cette époque est de 5 ou 6 contre une dizaine, voire beaucoup plus au siècle précédent.

**A noter que Mannevieux (ou Manissieu) est un petit fief de Givors dont la maison existe encore sur l’ancienne route de SaintEtienne surplombant la zone commerciale du Gier.

A suivre au prochain épisode :"Eléonore à Versailles"