Episode 2
[(Résumé de l’épisode 1 :
Servante chez un bourgeois lyonnais, qui lui demande de rester quelque temps à Paris pour le suppléer dans la surveillance d’une affaire, Eléonore Bouvier s’aventure un jour à Versailles…
)]
*…Raconté en 1823 par un ancien Officier aux Gardes Françaises ( dans « Versailles, Paris et les Provinces au 18e siècle », tome 1
“Elle se trouva dans la galerie, au moment où la cour passait pour se rendre à la chapelle. La reine, étonnée de cet habillement qu’elle ne connaissait pas, demanda ce que c’était. M. le duc de Villeroi, exerçant alors auprès de Sa Majesté ses fonctions de capitaine des gardes, s’empressa de répondre que c’était une Lyonnaise et qu’en qualité de gouverneur de la province, il avait le droit de la lui présenter. La reine la fit approcher, considéra toutes les parties de son ajustement et s’amusa même à arranger sa coiffure, qu’elle trouvait trop reculée du front. Au retour de la messe, la reine aperçut dans le même endroit cette même paysanne, lui fit signe de venir encore auprès d’elle, l’examina de nouveau et s’éloignant avec cette fille et son capitaine des gardes de ceux qui l’entouraient, témoigna le désir de se faire faire pour le bal masqué un habit pareil.
[(La Bouvier offrit avec beaucoup de zèle de se charger de cette commission et de l’exécution de tout le costume, demandant à sa Majesté la permission de prendre ses ordres à cet égard. Une conversation de quelques minutes et l’ordre donné d’introduire cette fille chez la Reine quand elle se présenterait, suffirent pour exciter auprès d’elle l’empressement de toute la cour. )]
Elle imagina d’en profiter pour sa fortune, se présenta avec effronterie chez les ministres, les amusa par ses expressions populacières, par la vivacité de son babil, contrastant singulièrement avec l’accent niais de son pays ; affecta surtout beaucoup d’aller chez le comte de Maurepas*, qui prenait plaisir à en faire son jouet, et obtint ainsi une apparence de crédit qu’elle eut grand soin de faire valoir et d’exagérer auprès des gens simples, qui éblouis de cette faveur soudaine, accouraient du fond de la province pour réclamer et payer sa protection. Elle les accueillait avec l’air de l’intérêt, promettait beaucoup, indiquait les démarches à faire, les secondait dans les bureaux où elle s’était procuré un accès facile; et si elles réussissaient, elle s’en attribuait la gloire et une partie du profit.
Elle s’entourait de gens à projets, présentait leurs plans dont elle s’attribuait l’idée, et c’est ainsi qu’elle parvint à faire adjuger à une compagnie, à la, tête de laquelle elle se mit le privilège des messageries publiques, sans savoir comment elle en paierait la ferme, ni par quels moyens elle subviendrait aux avances considérables qu’exigeait une telle entreprise, qu’elle ne put en effet soutenir. Dès qu’elle avait chez elle des solliciteurs opulents de sa province, ou des gens crédules qui pouvaient établir la réputation de sa faveur, des émissaires gagés, vêtus de la livrée des princes du sang, de celle des ministres, ou des plus grands seigneurs; venaient lui présenter des bouquets; de la part de leurs prétendus maîtres, s’informer de sa santé; et l’on conçoit combien ce charlatanisme imposait aux dupes qui se croyaient obligés de payer proportionnellement au grand crédit qu’ils supposaient à leur protectrice.”
Dans une vie aussi agitée et qui exigeait même beaucoup de dépense, la Bouvier dissipait aisément tout le produit de ses intrigues. Elle voulait cependant assurer sa fortune et elle crut en trouver le moyen dans une circonstance que le hasard lui offrit. •Le gouvernement, ayant besoin d’argent émit plusieurs billets du trésor royal pour les faire escompter. Elle parvint à en accaparer pour quatre cent mille francs, et espéra avoir si bien pris ses mesures pour les faire disparaître jusqu’à un temps plus favorable, qu’on ne pourrait même la soupçonner mais la police la surveillait de près, et eut bientôt lieu de conjecturer qu’elle s’était approprié les titres dont le déficit venait d’être découvert.
Un inspecteur de police se rendit chez elle avec des exempts. Elle répondit négativement, et avec un sang-froid imperturbable à leurs interrogations, laissant visiter fort tranquillement son bureau, ses poches, et son portefeuille mais on crut apercevoir quelque inquiétude dans les regards furtifs qu’elle jetait de temps en temps sur son manchon, posé négligemment sur le bras d’un fauteuil. On s’empara de ce meuble, et l’on trouva cousus entre l’étoffe et la doublure tous1es papiers que l’on cherchait.
On la conduisit en prison.
M. de Calonne, contrôleur général, l’en fit sortir au bout de cinq ou six jours et il est à remarquer que c’est la seule personne que ce ministre, entouré de tant d’ennemis dont il connaissait parfaitement les manœuvres ait fait punir pendant qu’il était en place.
La Bouvier voulut reprendre ensuite le fil de ses intrigues mais son crédit était totalement déchu. Cependant un ancien mousquetaire, qui avait un nom connu dans sa province, un titre, et point de fortune, la croyant riche lui proposa de l’épouser. La perspective d’un sort assuré, autant que l’amour-propre, engagea cette fille à accepter avidement une offre au-dessus de ses espérances, et ils n’ont pas tardé sans doute à s’apercevoir qu’ils étaient l’un et l’autre victimes de leur crédulité »
*Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas, homme politique français né et mort à Versailles (9 juillet 1701 – 21 novembre 1781) secrétaire d’État de Louis XV puis après une période de disgrâce, ministre d’État de Louis XVI.
* Maurepas était doué d’une intelligence vive et d’une grande finesse, mais il était frivole et égoïste. Ironique, mordant, sarcastique, voire facétieux, « il n’était pas ce que l’on appelle méchant », écrit le baron de Besenval, mais il ne résistait jamais au plaisir d’un bon mot. De figure banale et de petite taille, il essayait de compenser la médiocrité de son physique par le soin de sa mise et une affectation de raideur et de gravité. S’il n’était pas très cultivé, il était doué d’une mémoire prodigieuse et d’un véritable talent pour la conversation. Intuitif, il avait sur les hommes un jugement sûr, mais il lui manquait souvent de s’y tenir lui-même (extrait de Wikipédia, Maurepas).
à suivre le mois prochain, épisode 3 : Eléonore, femme d’affaires
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